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Cadre écologique du Canada
Une introduction aux écozones
par E. B. Wiken

La plupart des Canadiens, environ 77 pour 100, vivent dans les villes. Nous sommes entourés d'édifices, de routes, de réseaux de services publics, de véhicules et d'autres personnes. À l'exception de quelques parcs et autres espaces verts urbains, l'«environnement» est quelque chose qui existe, en majeure partie, ailleurs, à une certaine distance des centres urbains.

Cependant, en orbite autour de la terre, on ne distingue aucune route, aucune frontière politique ni linguistique, aucune personne. Cette perspective offre un aspect étonnamment différent de notre pays : il est entouré de trois immenses océans, recèle une forte proportion des eaux douces du monde et possède 25 pour 100 des principales terres humides de la planète. Les toundras arctiques, les grandes plaines, les forêts et les montagnes de l'Ouest occupent de vastes superficies. Les courants océaniques tournoient le long des côtes et les régimes météorologiques balaient les masses terrestres et océaniques. De là-haut, des dizaines de milliers d'espèces animales et végétales et plus de 28 millions de personnes sont invisibles à l'oeil nu.

Cette vue éloignée de notre pays est saisissante parce qu'elle nous force à nous rendre compte que nous faisons partie intégrante des écosystèmes de la planète. Tout comme les images prises à partir de l'espace sont relativement nouvelles, il en va de même avec la prise de conscience du partenariat humain avec l'environnement.

Une mosaïque

Quelques coups d'oeil jetés par le hublot de la navette ou quelques instantanés pris à partir de satellites nous rappellent à la réalité : nous vivons dans de vastes zones écologiques à la surface de la Terre. Il est ironique de constater que nos connaissances de ces écosystèmes ont été acquises grâce à un processus qui met l'accent sur les différentes pièces et néglige l'ensemble.

Figurant parmi les plus grands pays du monde, le Canada possède une diversité de paysages terrestres et marins qui semblent infinis - forêts tempérées et toundras arctiques, immenses réseaux fluviaux et littoraux, vastes plaines et chaînes de montagnes imposantes, paysages agricoles et zones sauvages, allant des systèmes relativement intacts aux systèmes très perturbés. La variété peut être impressionnante. Les écologistes, les scientifiques et de nombreuses autres personnes ont contribué à décrire ces zones naturelles. Certains ont décrit des caractéristiques biologiques comme la végétation générale et l'habitat et les tourbières. Les descriptions physiques mettaient l'accent sur les zones climatiques, les types de roche en place, les zones marines et les sols. D'autres classifications portaient principalement sur les types d'activités humaines (p.ex. les utilisations des terres rurales). Ces études spécialisées constituent des outils passablement fiables pour examiner les diverses composantes des écosystèmes. Mais lorsqu'il est important de comprendre les rapports entre les gens et l'environnement, et entre la faune et les habitats fauniques, l'information existante est plutôt limitée.

Les problèmes d'une vision fragmentaire

L'étude des composantes des écosystèmes nous a permis de comprendre la diversité biologique et physique du Canada. Cependant, en ce qui a trait à la gestion de l'environnement et à l'utilisation durable des ressources, cette approche fragmentaire donnait une vue incomplète et souvent trompeuse.

Il y a ceux qui s'occupent de la gestion des écosystèmes et ceux qui examinent les écosystèmes du point de vue des évaluations d'impact, des indicateurs environnementaux, des facteurs économiques, des systèmes de surveillance ou des examens publics. La tâche est si énorme dans tous ces domaines distincts que nous avons tardé à développer une approche intégrée et holistique. Et pourtant, sans une perspective axée sur l'ensemble de l'écosystème, il est de plus en plus difficile de fixer des buts environnementaux. Il faut résoudre les questions relatives à l'équilibre entre l'utilisation des terres et des eaux; pondérer les perspectives de conservation et d'exploitation; évaluer les coûts et avantages locaux et distants; mesurer les effets cumulatifs; déterminer les valeurs politiques, sociales, environnementales et économiques.

Le Canada possède une mosaïque d'écosystèmes distincts, dont bon nombre sont uniques au monde. Il y a 20 grands écosystèmes - écozones - au Canada : 15 écozones terrestres et 5 écozones marines. Les écosystèmes marins couvrent certaines parties de trois grands océans -- Pacifique, Atlantique et Arctique. Les écozones terrestres couvrent en grande partie une vaste gamme de types d'écosystèmes forestiers, arctiques et de taïga. Le Canada compte également une représentation significative des écosystèmes qui étaient autrefois des zones de prairies indigènes.

UNE PERSPECTIVE AXÉE SUR L'ÉCOZONE

De nombreux outils sont utilisés pour traduire la notion des écosystèmes et de leur nature globale. Étant donné que les gens sont habitués de penser en termes d'espaces définis, de voir leur terrain, leur municipalité ou leur pays représenté sur une carte, il est essentiel de commencer par illustrer les écozones sur une carte. Les cartes politiques montrent les limites juridiques, comme celles des villes ou des provinces, mais ce genre d'information ne revêt pas un caractère primordial lors des premières étapes de l'approche écosystémique. Par contre, les cartes des écozones définissent les espaces d'un point de vue écologique. Le fait d'exprimer les écosystèmes en tant qu'unités d'une carte permet de mieux comprendre leur structure et leur composition.

Le bon sens et les concepts écosystémiques

Qu'entend-on par écozone? Les gens saisissent intuitivement le sens des expressions simples qu'ils utilisent pour décrire les grandes régions écologiques où ils vivent. Par exemple, prenez tous les attributs et tous les rapports que sous-entendent des expressions comme les grandes prairies, les Indiens des plaines, les grandes plaines centrales, le grenier du Canada, les grands élevages de bestiaux, le pays du bison, le plus grand paysage agricole du pays, le climat des Prairies, les sols des prairies, les grands horizons, les terres humides et les cuvettes des Prairies.

En plus d'évoquer les caractéristiques évidentes de la région, ces expressions donnent une impression générale d'un emplacement géographique spécifique et de vastes espaces. Le simple mot «prairies» nous fait immédiatement penser aux grandes étendues semées de graminées ou aux pâturages qui couvrent la partie sud de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Les expressions commencent également à décrire des caractéristiques biophysiques particulières et des rapports sous-jacents. Les prairies sont une région de production céréalière précieuse depuis des dizaines d'années. Quelles interactions entre les éléments environnementaux, économiques et culturels ont amené cet état de choses? Bien des facteurs reliés entre eux ont fait que la région est si productive pour l'agriculture : les sols profonds et très riches, les vastes étendues de terres planes ou vallonnées, la souplesse d'adaptation inhérente des espèces des prairies, la facilité de culture, le climat chaud et sec, etc. Le simple bon sens nous révèle le caractère unique d'une région comme les prairies

Les écosystèmes peuvent être de toute taille. Ils peuvent désigner des terres humides locales, le golfe du Saint-Laurent, la région circumpolaire arctique ou toute l'écosphère. Petits ou gros, ils font tous partie d'un continuum - comme une famille, une communauté ou une nation - dont les composantes interagissent les unes avec les autres et influent les unes sur les autres. Les tendances et les conditions qui sont associées aux plus grandes écozones doivent être considérées dans le contexte de ce qui se passe localement, dans les écodistricts, ainsi que dans les écosystèmes d'échelle planétaire. Si la reproduction des oiseaux migrateurs de l'Est est affaiblie, par exemple, les effets du déclin de ces populations se font sentir dans toute l'Amérique du Nord. Les écozones arctiques sont touchées par les écosystèmes océaniques dont l'origine est aussi loin que l'équateur, par les oiseaux migrateurs qui hivernent au Mexique, et par la pollution qui émane du coeur industriel de la Russie.

Définition des écozones

Comment déterminer une écozone? Quelles étaient les principales caractéristiques diagnostiques pour chaque écozone canadienne? Les mêmes caractéristiques ont-elles été utilisées pour chacune des écozones? Quelles caractéristiques sont essentielles et lesquelles sont secondaires?

La réponse à ces questions est en partie fondée sur le bon sens. Dans tout grand écosystème - les montagnes couvertes de forêts de la côte ouest, les basses terres arctiques des Territoires du Nord-Ouest, les grandes plaines des Prairies - les combinaisons particulières des caractéristiques comme le climat, les reliefs, les sols, les plantes, les animaux et les activités humaines sont distinctes. Elles demeurent relativement constantes pour chaque écosystème.

Il existe des normes et des lignes directrices pour décrire les écosystèmes (Wiken, 1986; ESSG, 1996). Il faut toutefois considérer les écozones au cas par cas. Il s'agit généralement de grandes unités (c.-à-d. d'une superficie supérieure à 200 000 km2). La plupart des caractéristiques diagnostiques sont des facteurs normalement jugés naturels : reliefs, sols, hydrographie, végétation, climat. Cependant, lorsque les activités humaines sont importantes et qu'elles sont le facteur dominant d'une région, elles sont également diagnostiques. L'activité agricole est une caractéristique assez diagnostique de l'écozone des Prairies; la présence de certains types de sols, la physiographie des plaines, l'ancienne étendue des prairies indigènes et les autres caractéristiques pourraient également être prises en compte lors de l'établissement des limites et des traits de cette écozone particulière.

La forme et la taille des écozones varient considérablement. La plus grande au Canada, l'écozone du Bouclier boréal, est une région de forme irrégulière qui s'étend sur six provinces. Elle est plus grande que l'État de l'Alaska, la Mongolie et la province de Québec. Il faut moins de temps pour voler de New York à Londres que pour la traverser dans sa longueur.

Les écozones varient également de par leur diversité. Par exemple, l'écozone des Prairies est moins diversifiée que l'écozone maritime du Pacifique. Cette dernière ressemble plus à un gâteau à étages. La forêt ombrophile tempérée domine une grande partie des basses et moyennes terres, mais la base comprend des zones comme la zone arbustive semi-méditerranéenne et les forêts de chêne de Garry alors que plusieurs étages plus au nord sont dominés par les prés alpins et les neiges.

Les écozones diffèrent également en ce qui a trait à leurs possibilités et leurs contraintes pour des activités et utilisations données, comme l'agriculture, l'exploitation forestière, la pêche et les loisirs. Par exemple, même si l'agriculture se pratique avec succès dans bien des régions au pays, elle est principalement associée aux écozones des Prairies et des Plaines de forêts mixtes.

Quelques-unes des écozones du Canada sont partagées avec d'autres pays. Par exemple, l'écozone des Prairies en apparence petite (450 000 km2) n'est, en fait, que la pointe septentrionale d'une unité qui s'étend jusqu'au coeur des États-Unis. Cette écozone fait également partie de l'ensemble des prairies tempérées du monde. De même, les écozones arctiques du Canada forment un segment vital - environ 20 pour 100 - de tous les écosystèmes arctiques du monde.

Pour en savoir plus

Groupe de travail sur la stratification écologique, 1996, Cadre écologique national pour le Canada, Ottawa : Agriculture et Agro-alimentaire Canada, Direction générale de la recherche, Centre de recherches sur les terres et les ressources biologiques; et Ottawa : Environnement Canada, Direction générale de l'état de l'environnement, Direction de l'analyse des écozones.

Wiken, E.B., 1986, Les écozones terrestres du Canada, Classification écologique des terres, série no 19, Environnement Canada, Hull (Québec) 26 p. + carte.

Wiken, E.B., 1996, Ecosystems: frameworks for thought dans World Conservation, volume 27, no 1, UICN, Gland, Suisse.